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Le BAP ... pour ne pas arrêter le futur !

Par Cléon Angelo Administrateur Délégué de l’ANLH asbl

Nous, personnes handicapées, en avons assez que d’autres personnes organisent notre vie à notre place, nous disent ce qui est bien pour nous-mêmes, comme si elles étaient les meilleurs experts de notre autonomie. Nous ne voulons plus adapter nos besoins aux besoins d’un service mais créer nous-mêmes nos propres services répondants à nos besoins.

Nous savons ce que nous voulons et comment nous le voulons. Nous voulons être des citoyens comme les autres. Nous voulons, tout simplement grandir dans nos familles, aller dans l’école du quartier, utiliser les bus de tout le monde, trouver un emploi correspondant à notre formation et à nos capacités, avoir accès aux services et lieux publics, à la culture et aux loisirs. Pour cela nous avons besoin d’accessibilité, d’aides techniques et d’assistance humaine. Si j’ai cela, je n’ai plus de handicap. Ou plutôt mon handicap a été compensé. Ma polio, ma déficience est toujours là... mais, bye-bye le handicap

L’argent des impôts et de la solidarité devrait couvrir les besoins des personnes ayant un handicap. Les choix qui sont faits ne le permettent pas. Il suffit d’ouvrir les yeux : avez-vous vu une réelle accessibilité autour de vous ? Seulement un bâtiment sur dix est accessible. Les logements adaptés sont quasi inexistants. C’est le parcours du combattant pour avoir une aide technique. Quand, en plus, vous êtes tétraplégique et vous devez aller à la toilette à 23 heures, c’est le sommet. Une seule solution : accepter d’être un fardeau pour sa famille et, tôt ou tard, aller dans un home.

Les services sont aujourd’hui structurés sur base d’un « trinôme » (client - prestataires - pouvoirs organisateurs). Nous pensons que nous pouvons très bien fonctionner en binôme (client - prestataires). Nous pouvons être un client et un employeur responsable, respectueux de l’autre, d’autant plus que cet autre représente notre autonomie. Attention je ne dis pas qu’il faut raser les structures, les institutions existantes, mais l’autonomie c’est pouvoir choisir et, aujourd’hui, on n’a pas le choix. Il faut casser la logique actuelle qui dit que pour les grands handicapés : intégrer… c’est enfermer !

Pour réussir le BAP (Budget d’Assistance Personnelle) deux conditions indispensables doivent êtres réunies. Le Dr Adolf D. RATZKA, de l’Independent Living Institute les a énoncées dans « D’objet de soins à citoyen : assistance personnelle et payement direct » dont je vous livre des larges extraits :


«Assistance Personnelle»


« L’assistance par du personnel rémunéré permet à l’usager d’effectuer des activités de la vie de tous les jours comme se laver, s’habiller, aller aux toilettes, s’occuper de la maison, faire du shopping, préparer le repas, nettoyer, ... L’assistant aide l’usager au travail, en ville, en voyage ... Il aide dans la communication et à structurer la journée le cas échéant. En résumé, l’assistant aide dans les activités que l’usager aurait faites lui-même s’il n’avait pas été une personne handicapée physique, sensorielle ou mentale.

L’assistance personnelle suppose que l’usager exerce un maximum de contrôle sur l’organisation et la personnalisation des services en fonction de ses besoins individuels, de ses capacités, des circonstances de la vie et de ses aspirations.

Ceci implique que l’usager décide qui travaille, pour quelle tâche, à quelle heure, où et comment.

Ceci implique que l’usager doit pouvoir recruter, former, planifier, superviser et, si nécessaire, licencier son propre assistant.

C’est l’usager qui est l’employeur! Les personnes ayant un problème d’apprentissage ou un handicap mental auront besoin d’une tierce personne pour assumer ces fonctions.

L’assistant personnel permet à l’usager de remplir pleinement son rôle dans sa famille, au travail, dans la société, avec, cela va de soi, les mêmes droits et les mêmes devoirs que la population en général ...

La plupart des services existants ne peuvent être repris sous la rubrique «Assistance Personnelle» car ils ne sont pas créés en fonction des besoins individuels. Ils ne permettent ni un contrôle ni des choix acceptables.

Généralement, les usagers ne sont pas en position de recruter leurs propres assistants. Ils sont obligés d’accepter l’assistance d’une équipe existante. C’est le cas tant dans les institutions que dans leurs services extra-muros, dans les services communautaires ou gouvernementaux ou, encore, dans les organisations volontaires. Les usagers sont obligés de suivre le règlement ce qui en soit, réduit les choix et la liberté de mouvement.

D’autres limitations existent lorsque les assistants n’ont pas de contrat de travail ou pas de salaire. Les usagers ne peuvent alors exiger une qualité de travail, l’attention et le sérieux nécessaire pour leur prise en charge.

Paiement direct :

Aujourd’hui la plupart des services d’assistance contrôlent et limitent nos vies, nous rendent dépendants et impuissants ...

Passer de «prise en charge» en «assistance personnelle» demande une transformation fondamentale dans la distribution du pouvoir entre l’usager et le fournisseur. Une condition pour ce changement réside dans la propre perception qu’a l’usager de sa place. Au lieu de se voir comme un objet passif d’intervention pour les intervenants, l’usager doit être acteur de sa propre vie. La meilleure façon de faciliter ce changement est l’aide de pairs (peer support). Il va de soi qu’il faut avoir accès aux fonds nécessaires afin d’engager ses assistants. Ces deux conditions vont de pair.

Afin d’avoir accès aux fonds nécessaires, nous devons rediriger les ressources actuellement utilisées dans le domaine des personnes handicapées. Au lieu de recevoir des services passivement, l’usager individuel devrait obtenir le coût de ceux-ci.

Avec le même montant les usagers pourront prétendre à une meilleure qualité de vie. Avec le budget en main, nous pouvons acheter des services chez le prestataire de notre choix. Nous pouvons aussi embaucher, former ou licencier nos propres assistants ce qui est la manière la plus directe d’avoir le contrôle sur la qualité du service.

Les services nous contrôlent, le paiement direct nous renforce.

Dans de nombreux pays, le paiement direct pour l’assistance personnelle existe déjà. Il y a beaucoup d’exemples de textes légaux et de littérature. »

Le mouvement VIA (http://www.vieautonome.be) constitué par les organisations suivantes : ANLH, ANAHM, Ligue Braille, ABMM, qui défendent le BAP, a réalisé l’argumentaire ci-dessous :


Les avantages du BAP

Pour la personne handicapée
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• Adapté aux besoins de chaque personne
• Organisé par la personne elle-même, elle fixe ses choix de vie, ses priorités, ses propres
compromis
• Horaire adapté aux besoins et à la personne
• Pas d’interférence de tiers, la personne handicapée est seule responsable du
fonctionnement du système
• La personne handicapée est reconnue dans ses compétences
• La personne handicapée peut vivre sa vie, travailler, suivre des cours, voyager,... sans
que cela ne pèse sur la famille, le conjoint
• Autonomie optimale : liberté des lieux, du moment, ...
• Accès à la vie sociale, à la vie familiale, au travail, aux loisirs, à la culture, aux voyages,...
• Pas attaché au lieu, peut répondre aux besoins primaires, tant à l’extérieur qu’à
l’intérieur (aider à être le conjoint, l’enfant, le père, la mère, ...)
• Choix du/des assistant(s), liberté de recrutement
• Evite le placement en institution.

Pour la société
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• Approche novatrice car elle place la personne handicapée au centre de son processus d’autonomie
• Compensation de certains freins environnementaux : barrières architecturales, problèmes d’accès au transport...
• L’assistant personnel est complémentaire aux autres intervenants (infirmière, aide familiale, AVJ, ...)
• Mise à l’emploi de personnes peu qualifiées
• Evite des investissements lourds en infrastructures institutionnelles
• Evite de déraciner les personnes handicapées de leur environnement, de leur famille, de leurs amis, de leur réseau social
• Evite d’institutionnaliser systématiquement les personnes handicapées
• Permet de maintenir la personne handicapée dans un milieu de vie ordinaire (cf. Décret du 6 avril 1995)
• Evite la formation de ghettos
• Investit dans l’autonomie de la personne handicapée et non sur sa dépendance
• Sort de l’approche médicale du handicap
• Approche plus humaine, respectueuse de l’individu
• Système à la pointe de l’évolution sociale testé et approuvé dans plusieurs pays européens y compris chez nous en Flandre
• Pour une plus-value sociale évidente, le différentiel de coût est peu important voire inexistant par rapport à des solutions plus traditionnelles
• S’adresse à tous les types de personnes handicapées, à tous les âges
• Budget modulable et adapté aux besoins de chaque personne
• Evite le travail au noir.

Pour les travailleurs
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• Possibilité de négocier son horaire
• Possibilité de travailler un temps déterminé et négocié
• Travail valorisant socialement
• Pas de formation de base nécessaire
• Pas de pouvoir organisateur entre le travailleur et la personne handicapée.

Divers
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• Le système de l’assistant personnel est une alternative aux structures classiques mais ne les remplacent pas. Il s’agit d’un choix supplémentaire en fonction des besoins des personnes.
• Si une structure extérieure se met en place, elle ne devrait intervenir que dans les domaines de la formation des assistants et du secrétariat social.
• Le paiement est fait directement à la personne qui gère son budget en toute autonomie
• Les bénéficiaires ou leurs représentants légaux doivent avoir suivi une formation minimale.

* * *
Aujourd’hui, je voudrais dénoncer les arguments de nos détracteurs qui freinent le BAP en Région wallonne :

Manque de budget : il est tout à fait acceptable de limiter l’accès à un premier nombre d’usagers et de l’étendre petit à petit, si l’on voit que c’est une réussite.

BAP et pensions : certains ont peur de perdre leurs allocations. Non ! En Flandre 960 personnes bénéficient du BAP et personne n’a perdu son allocation d’intégration. Il ne faut pas mélanger allocation et remboursement de frais.

Fin des structures classiques : Il faut être clair là-dessus, le BAP permet seulement d’offrir un plus grand choix pour plus d’autonomie. Y a-t-il de l’autonomie quand il n’y a pas de choix ?

Pour une élite ? Faux, le BAP n’est pas pour une élite. Pourquoi une telle formule a-t-elle un tel succès auprès des personnes handicapées mentales ? Pensez-vous vraiment que c’est pour une élite ?

Le BAP, c’est la fin de la Sécurité Sociale. On entend : “ Attention à la scission de la Sécurité Sociale, à la régionalisation de la Sécurité Sociale ! “. La Flandre a le BAP. Est-ce pour cela que la Sécurité Sociale a été régionalisée ?

On entend que certaines grandes associations sont opposées au BAP. Peut-être n’ont-elles pas eu l’occasion d’écouter les personnes handicapées qui, elles, ont clairement dit qu’elles sont pour le BAP, pour elles-mêmes, pour leurs enfants, pour avoir un futur.


Conclusion :

Le BAP, budget d’assistance personnel, est notre espoir. L’espoir d’un futur meilleur pour nous et pour les autres générations de personnes handicapées. Le BAP se caractérise par une double approche : la reconnaissance de la personne handicapée comme l’acteur principal de son processus d’autonomie et d’autre part, le financement de ses besoins d’assistance et ceci pour tous les actes de la vie.

C’est une approche révolutionnaire, un tournant à 180° degré pour tout le monde. Pour les personnes handicapées : d’assistées elles vont devenir employeurs. Mais surtout pour tous les autres décideurs, qui ne verront plus la personne handicapée comme un handicapé mais comme un homme et une femme autonome, responsable, capable de construire et de se reconstruire. Il est grand temps de rompre avec le paternalisme, de faire des choix prioritaires. La résistance à la simple idée du paiement direct provient principalement des prestataires de services qui ne croient pas que les personnes handicapées soient capables d’agir dans leur meilleur intérêt et pensent dès lors qu’elles doivent être prises en charge.

Pour nous, personnes grandement dépendantes, le paiement direct est la meilleure stratégie qui nous permet d’accéder à l’autodétermination, à l’intégration et à une pleine citoyenneté.

C’est aussi un défi pour la société d’investir pour un futur plus humain et plus respectueux des individus. Ensemble, je suis convaincu, nous avons rendez-vous ... avec le futur !